Edito
Depuis bientôt 30 ans le Capa fondé par Jean Picard en 1996 nourrit dans une continuité remarquable un travail de réflexion sur la psychopathologie, les soins et les dispositifs pour les adolescents, et s’inscrit dans un abord possible de la complexité.
Les adolescents et leur grande dépendance à l’environnement sont en 1ère ligne face aux conséquences des dysfonctionnements dans la famille, la vie collective, les institutions, et face aux différentes crises sanitaires, environnementales, politiques et géopolitiques.
Les indicateurs de qualité de Santé Mentale pour les adolescents sont en très nette dégradation avec une augmentation plus que significative des troubles dépressifs (+ 20% de troupes anxieux, + 30% de troubles dépressifs), de la fréquentation des urgences (+570% depuis 2007 des hospitalisations pour TS ou automutilations chez les jeunes filles de 10 à19 ans).
Les alertes, anciennes, par les acteurs de terrain sont en nette recrudescence.
Que font nos décideurs ?
De nombreux plans pour la Santé Mentale se sont succédés avec un apport bien mitigé. La tâche est immense, les facteurs sociétaux prégnants, et certaines pathologies font l’objet de plans successifs (autisme, TND), certes nécessaires mais au risque de cautionner une lecture réductionniste ou scientiste de ces pathologies, et au risque d’invisibiliser toute une frange de population (troubles limites, troubles liés à la précarité..).
A quand la reconnaissance de la fonction soignante des liens humains ?
Cette évolution de Santé Publique n’est pas sans susciter de nombreuses et vives protestations (soignants, enseignants) avec la création de nombreux « collectifs de résistance », n’excluant pas les avancées bienvenues des neurosciences.
Comment leur parole est-elle prise en considération ?
Le Capa participe activement à la vitalité et la richesse des regards croisés sur les pathologies complexes des adolescents en invitant d’autres « passeurs/penseurs » de l’adolescence.
Le 22e colloque du Capa en 2024 « l’Adolescent et son Corps » en a été une belle illustration , en voici quelques idées forces.
Le corps est au commencement de la vie psychique, avec l’intégration de la sensorialité et des auto-érotismes amenant au travail de subjectivation de bon aloi « se voir, se sentir, s’entendre » (Bullinger). Le travail de psychisation du corps en relation se fait dans le polymorphisme de la sexualité infantile auto-érotique avec son caractère inachevé et dans un équilibre antipulsionnel et de répression de la décharge pulsionnelle de la latence, équilibre que vient bouleverser la potentialité orgastique adolescente (Roussillon) et la nécessité de se tourner vers un objet extérieur au corps propre. Ainsi, sur une base génético-physio-neurologique, le travail adolescent d’intégration par la psyché du corps devenu pubère, dépend des aléas de la sexualité primitive puis de la latence, le tout étroitement lié à l’environnement socio-familial.
Justement cet environnement socio-familial et culturel change drastiquement, les potentialités traumatiques voire même traumatisme permanent de ce travail pubertaire sont nombreuses : des aléas de l’histoire et du transgénérationnel à la mouvance insécurisante pour beaucoup des changements familiaux et sociétaux.
À l’heure des réseaux sociaux, le corps pour les adolescents est bien plus qu’auparavant un marqueur identitaire inscrit dans un groupe (vêtements, apparence, musculature, maquillage, tatouages..). Le monde virtuel est une révolution anthropologique, une nouvelle donne des remaniements de la corporéité et du rapport au monde, parfois problème parfois solution, refuge pour ceux qui décrochent et parfois belle ressource par l’opportunité de faire l’expérience d’autres identités virtuelles un peu en position d’attente.
Par ailleurs la re-sexualisation de l’activité de pensée à l’adolescence est susceptible de commander une dynamique d’évitement plus dommageable, qui peut toucher le corps (automutilations, C.Matha) et la pensée (la psychophobie). Et puis penser c’est toujours au risque, ou au plaisir, de ne penser qu’à ça, le sexuel. Les enjeux du travail de subjectivation sexuelle à l’adolescence sont multiples, avec ses recherches, ses aléas et ses excès, d’une asexualité à l’hypersexualisation jusqu’à l’addiction à la pornographie : plus les bases narcissiques sont fragiles et plus la sexualité est convoquée comme lieu de vérification identitaire.
L’identité sexuelle devenue virtuelle n’alimente-t- elle pas la récession sexuelle en cours ?
La liberté de s’affranchir du sexe deviendra-t-elle un impératif branché?
L’ancrage corporel du travail transféro-contre transférentiel est à souligner, avec la modulation de l’excitation en séance et l’attention portée au degré de séduction dans la rencontre. F.Richard dans un abord freudien nous dit que l’Oedipe reste une bonne boussole, et peut permettre avec l’Oedipe primaire d’écouter les subjectivations contemporaines. D.Donabédian a pu développer la pertinence de l’approche psychosomatique, et E.Caule avec R.Puyuelo, la phobie au cœur du processus adolescent.
Ainsi ce qui est primordial dans le regard nouveau porté sur l’adolescent devenu pubère c’est la réponse de l’environnement tant social et familial que thérapeutique avec la pertinence maintes fois soulignée d’un travail pluridisciplinaire multiréférencé (psychodrame, psychomotricité, groupes à médiation, rééducations..) en libéral et en institution.
Au Capa la parole est fréquemment donnée aux sociologues, écrivains, philosophes et artistes. Lors du dernier colloque, un jeune et brillant sculpteur, T.Waroquier, a pu décrire comment les scarifications en Terres Africaines peuvent relater l’art de la cicatrisation par le dedans contrastant avec les attaques de la peau et du corps en psychopathologie
Ainsi grâce à la pluralité de ses approches, au travail de pensée, à la créativité entretenue, le Capa se montre soucieux de soutenir la recherche, les soignants et les enseignants engagés dans l’accompagnement des adolescents dans leur passage vers la vie adulte.
..Quelques anciens colloques sont disponibles en replay, n’hésitez pas !
Bonnes auditions et bonne année 2025 !